Le regard alternatif

Noël Corret

Abstraits



Lazlo Parker, 2020


Les images de l'œuvre graphique de Lazlo Parker suggèrent une personnalité artistique parmi les plus étranges du siècle dernier. Dès les premières pages, nous sommes assaillis par une agréable sensation mêlant stupéfaction et séduction.

Certainement, le défilé des œuvres de Lazlo Parker défie les étiquetages habituels de l'histoire de l'art. Mais qui peut bien être cet artiste qui convoque tour à tour, ou en même temps : Wols, Bram Van Velde, Estève, Klee, Fautrier ? Parvenir à concilier les conquêtes picturales les plus novatrices du XXe siècle sans sombrer dans le compromis est un pari très risqué. Un pari qu'il emporte haut la main, de sa main, tellement l'on décèle vite, au fil des pages, la singularité de Lazlo Parker.



Ses multiples influences, sa virtuosité de dessinateur — qui l'oblige souvent à signer "Moebius" — sont autant de lampes torches qui l'accompagnent à la recherche de sa véritable expression, dans l'exploration des tréfonds les plus primitifs de nos entrailles humaines et animales.

"On apprend, disait Paul Klee, à connaître quelque chose par la racine, on apprend la préhistoire du visible." S'abandonnant au simple jeu des transparences et des coloris juxtaposés, errant dans les entrelacs métamérisés d'anneaux articulés par lesquels se meuvent des lombrics lubrifiés teintés de rose, de bleu et de mauve, sans aucun artifice mais avec délectation, Lazlo Parker établit le lien entre les profondeurs grouillantes et viscérales de l'humanité et la moindre parcelle de l'univers. Sa main trace des lignes sinueuses et profondes, faisant apparaître ici ou là des formes humaines, tricotant d'un même fil le visible et l'invisible, intégrant l'accidentel dans l'harmonie générale.

Pour Lazlo Parker, la chose est entendue, non d'ailleurs sans une certaine cruauté : la terre et tout le vivant témoignent d'un état de décomposition permanente. Si l'effroi en est absent, c'est que ses peintures essentiellement matricielles nous font entrevoir les fécondations futures.



Ainsi Jean Giraud, bédéiste bien connu, sous cette signature ou celle de Mœbius, serait un créateur capable d'œuvrer dans un autre médium que celui de la bande dessinée ? Serait-il plus fou que prévu ? Qui l'eut cru ! Pas lui en tout cas, qui avoue, non sans humour, son échec. Nonobstant le déni de l'artiste, les œuvres ici rassemblées par Isabelle Giraud en attestent : Lazlo Parker est un peintre. Un peintre qui ne cesse d'arpenter les architectures abstraites de nos entrailles, soulignant leur densité plastique, nous en révélant la fonction motrice, celle par laquelle nous aimons, souffrons, vivons.  

Les textes qui accompagnent parfois les œuvres participent au climat poétique d'une lecture enchanteresse. Tel Man Ray illustrant Eluard, Lazlo Parker dialogue avec Jean Giraud  :


BACK TO BACK O JANUS
O ANNEAU DU SACRE FILS
PRESENT DIVIN, FUTUR TARD
PASSE SITÔT VENU
TU TE PRESENTES DE DOS
DOS A DOS ILLUSOIRE
BAISER DE LA MORT AVEC TOI-MÊME.
DOUBLE FACE, O CERVEAU
IMBRIQUE DANS LE FLOT
DES PENSEES - O REGARD
ALTERNATIF


Dès lors, l'artiste se présente comme ce dieu romain, Janus aux deux visages, l'un regardant devant, l'autre derrière : Lazlo Parker, en charge de scruter le passé le plus lointain, le plus cellulaire, tout en digérant les avant-gardes picturales de son temps ; et Mœbius, visionnaire d'un futur surréaliste sous un dessin d'une pureté inouïe venue des temps lointains.



Par-delà le paradoxe, dans le survol du monde du devant et l'exploration du monde du dedans, tous deux aboutissent au dévoilement de songes magiques, d'une beauté étrange et pénétrante, d'une atmosphère surnaturelle ; s'y déclinent les rêves d'un créateur perdu dans le siècle et s'adonnant aux jeux de masques pour conjurer la mort et le temps.


Et c'est le temps qui est responsable de tout
Ce temps arrière avant pendant après passé
Mon cœur dans le sommeil ignore la durée.

Eluard, Les Souvenirs et le présent, 1950  


Ainsi donc, personne n'est dupe. Dr. Mœbius et Mr. Parker ne font qu'un. Sous les masques, un seul, un grand, un immense artiste !


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Un texte écrit par Noël Coret,
critique d'art et président du Salon d'Automne.

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07 décembre 2020

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